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Sur la piste des avocats fraudeurs

Dans le privé, l’avocat Edgar Paltzer organisait des rencontres dans sa villa du Züriberg, les «salons de l’esprit», où l’intelligentsia alémanique devisait éthique et philosophie. Au travail, il aidait des Américains à frauder le fisc. Inculpé mardi, son cas mène à de nouvelles banques suisses.

«Lorsque les Paltzer ouvrent leurs portes pour un «salon de l’esprit», leur séjour se remplit jusqu’à la dernière place. Voisins, amis et connaissances du couple s’y réunissent pour écouter un orateur, puis pour participer à des discussions stimulantes autour d’une soupe, de pain et de vin. »

La description de cette sympathique soirée chez les Paltzer est parue en mars 2012 dans une chronique mondaine de la Weltwoche, dont le rédacteur en chef Roger Köppel est par ailleurs un ami du couple. Parmi les invités, précisait l’hebdomadaire, figuraient ce soir-là la philosophe et présentatrice de la télévision alémanique Katja Gentinetta, l’ancienne patronne de la Bourse suisse Antoinette Hunziker-Ebneter et le réalisateur Thomas Koerfer.

Les époux Paltzer n’avaient plus organisé de «salon de l’esprit» depuis un an, étant l’un et l’autre très occupés. Mme Paltzer avait juste bouclé un master en «éthique» à la Faculté de philosophie et de théologie de l’Université de Zurich tandis que son époux, associé de la prestigieuse étude d’avocats Niederer Kraft & Frey, venait de déposer plusieurs recours pour tenter d’empêcher le séquestre des comptes bancaires d’un membre du clan Moubarak.

En mars 2012, l’orateur du «salon de l’esprit» des Paltzer était le professeur d’économie Lars Feld, de l’Université de Freiburg en Brisgau. Titre de son intervention: «Les crises budgétaires en Europe et leurs menaces».

La menace, Edgar Paltzer devait justement commencer de la voir venir. Le procureur de New York Preet Bahara avait inculpé la banque Wegelin pour fraude fiscale un mois plus tôt. La Suisse avait alors découvert que son patron, Konrad Hummler, célèbre pour ses discours sur «l’éthique personnelle des banquiers», avait accueilli en masse les comptes de clients fraudeurs américains qui fuyaient UBS en 2008 et 2009.

Edgar Paltzer avait toutes les raisons de se sentir concerné. Six mois plus tôt, en août 2011, l’avocat zurichois aidait encore un de ses clients américains à rapatrier 3,7 millions de dollars en diamants et en rubis depuis un compte suisse non déclaré vers les Etats-Unis via un joaillier de New York. Pour d’autres qui cherchaient désespérément à vider leur bas de laine, l’avocat gardait d’importantes sommes en cash à son étude, ou envoyait des chèques incognito par la poste, leur demandant s’ils avaient «bien reçu les cartes postales».

Le couperet est finalement tombé pour Edgar Paltzer, mardi, lorsque ces accusations ont été rendues publiques dans un acte d’inculpation lancé par le Parquet de New York contre lui et contre Stefan Buck, un jeune cadre de la petite banque zurichoise Frey.

Le document raconte sur 40 pages comment, depuis le début des années 2000 et au moins jusqu’en 2012, l’associé de l’étude Niederer Kraft & Frey a aidé des clients américains à frauder le fisc, dissimulant leurs comptes sous des trusts et des dizaines de sociétés offshore. La plainte américaine accuse en outre la banque Frey d’avoir joué exactement le même jeu que Wegelin. Accueillir les fraudeurs américains qu’UBS passait par-dessus bord était même apparemment devenu son modèle d’affaire. Le procureur Preet Bahara dispose de chiffres très précis à ce sujet. Selon lui, le nombre de clients américains de la banque a été multiplié par quatre de 2009 à 2012. Leurs fonds se montaient à 398 millions de dollars au 30 septembre 2012, ce qui représentait 44% de la masse sous gestion de l’établissement.

Ces nouvelles accusations tombent au plus mal. Alors que les autorités suisses tentent depuis près de deux ans de négocier un «accord global» avec les Etats-Unis, l’acte d’inculpation d’Edgar Paltzer mentionne des connexions avec six établissements suisses, dont Rahm & Bodmer, la plus ancienne banque zurichoise, ainsi que la filiale suisse d’une banque française.

L’étude Niederer Kraft & Frey n’a pas retourné nos appels et a supprimé la biographie d’Edgar Platzer de son site vendredi. Contacté, l’avocat s’est dit dans l’impossibilité de s’exprimer. Il remercie ceux qui lui ont «témoigné leur soutien par ces temps difficiles».