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Mangez des produits titrisés, c’est bon pour la santé

draghi

Cinq ans plus tard, la Banque centrale européenne fait tout ce qu’elle peut pour encourager l’usage des produits financiers à l’origine de la crise de 2008. Pour donner l’exemple, elle en achètera elle-même, par centaines de milliards.

Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 12 juin 2014.

Aujourd’hui encore, les livres d’économie expliquent ainsi le rôle des banques: elles reçoivent les dépôts des épargnants et prêtent cet argent à des ménages ou à des entreprises qui lui versent des intérêts.

Ce modèle a cessé d’exister depuis belle lurette. Et comme il serait impensable de demander à un physicien du CERN de reprendre sa craie et son boulier, il n’est plus concevable pour les banques d’y revenir.

Aujourd’hui, foin de dépôts. Pour prêter, les banques s’alimentent directement dans un puits de «liquidités» ouvert par les banques centrales. En période de crise, ou de croissance trop faible, elles ouvrent les vannes dans l’espoir que cette manne ruisselle sur l’économie exsangue.

Le problème des banques centrales, en particulier en Europe, est que ce ruissellement ne fonctionne pas. Les centaines de milliards d’euros mis à disposition des banques par la BCE ne retombent pas vers l’économie réelle, mais restent suspendus dans des limbes financiers.

Les banques qui ont accès à cette oasis miraculeuse en profitent pour assouvir leur propre soif de spéculation, notamment sur des produits dérivés. Ceux-ci ne profitent pas à l’économie réelle, voire lui nuisent en gonflant artificiellement la valeur de certains biens agricoles ou industriels.

Mais la BCE pense avoir trouvé la solution: puisque les banques ne veulent plus prêter en direct à l’économie réelle et préfèrent le rôle d’entremetteuses de paris financiers, il faut donc «financiariser» l’économie réelle.

L’outil qui permet de le faire s’appelle la titrisation. Le procédé est bien connu, puisqu’il a explosé au nez de l’économie mondiale en 2008.

Il consiste à rassembler d’immenses portefeuilles de crédits, généralement par paquets d’un ou deux milliards, et de les découper en tranches par niveau de risque.

Dans ce domaine, la créativité de l’ingénierie financière n’a pas de limites: prêts immobiliers, leasings automobiles, cartes de crédit ou même les flux de trésorerie d’entreprises, tout y passe. Ces saucisses de dettes, appelées « asset backed securities », ou ABS, sont principalement vendues à des assurances et à des caisses de pension.

La Banque centrale européenne, ardemment soutenue par ses homologues française et britannique, explique depuis environ un an qu’il est désormais indispensable de surmonter la «mauvaise réputation indue» de ces produits, puisqu’il s’agit du seul canal qui laisse les banques jouer les alchimistes du crédit, tout en permettant à l’économie réelle d’en profiter.

«Nous pensons que la revitalisation de certains types d’ABS est un instrument important pour rétablir les flux de crédit, et pour notre politique monétaire», expliquait Mario Draghi en février 2013.

Les banques ont applaudi à tout rompre.

Seul obstacle sur la voie de cette «revitalisation»: les régulateurs bancaires. Ce retour en grâce de la titrisation est en contradiction avec l’objectif qu’ils se sont fixé depuis la crise, luttant pour en limiter l’usage et empêcher les banques de s’en gaver de nouveau, comme elles l’avaient fait en 2008.

Ces vues divergentes se sont exacerbées depuis six mois. En décembre, Yves Mersch, membre luxembourgeois du directoire de la BCE, s’est lancé dans une diatribe contre l’approche «punitive» des régulateurs envers la titrisation.

Selon lui, leur attitude serait comparable à celle d’un assureur qui «évaluerait le risque d’inondation en se basant sur le cas de La Nouvelle-Orléans, et qui appliquerait les mêmes primes pour une ville comme Madrid».

Sauf que, jusqu’ici, les velléités «punitives» des régulateurs ont pesé sur le marché européen des ABS, qui piétine à quelque 2000 milliards de dollars, soit 30% en dessous de son niveau record de 2007. Faute de demande suffisante. En mars, le commissaire européen Michel Barnier a proposé d’assouplir les règles de solvabilité des assurances, principaux acheteurs de produits titrisés, pour leur permettre d’y investir plus massivement encore.

Finalement, le 5 juin, Mario Draghi est passé aux actes. Outre une nouvelle baisse des taux d’intérêt attendue, il a surtout annoncé le lancement d’un programme de soutien de la titrisation: pour relancer la fabrique à saucisses, la BCE donnera l’exemple en achetant elle-même des ABS, par centaines de milliards.

Mario Draghi a promis que cette mesure ne s’appliquerait qu’aux produits «simples, réels et transparents».

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